A partir de septembre, tous les étudiants de la ville de Shipai (Guangdong), bénéficieront d’une éducation gratuite jusqu’à l’université. Un projet avant-gardiste dans un pays où l’accès à l’éducation pour tous est loin d’être garanti.

Selon la Constitution chinoise, tous les citoyens ont le droit d’accéder à l’éducation obligatoire et gratuite pendant 9 ans, de l’école primaire au collège. Dans certaines villes, le lycée est également gratuit.
Mais la ville de Shipai, dans le Sud du pays, sera la première à financer l’éducation des enfants jusqu’à l’université.
Le système marchera par subvention. Comme il n’y a ni lycée ni université à Shipai, chaque étudiant recevra une bourse annuelle pour aller étudier dans d’autres villes.
3000 yuans (340 euros) pour les lycéens, 6000 (480 euros) pour les étudiants en licence, 8000 (906 euros) pour le master et 10 000 (1133 euros) pour les doctorants. De quoi couvrir les frais de scolarité.
Ambitieuse, la mairie de Shipai veut proposer « la meilleure qualité d’éducation de Chine». Mais si le projet est séduisant, il masque une réalité un peu plus nuancée
Il reste 130 millions d’analphabètes en Chine
Dans cette ville industrielle, les travailleurs migrants (mingong) représentent 56% de la population, mais ils ne seront pas concernées par le nouveau projet. Seules les personnes disposant d’un Hukou local (le permis de résidence permanente) pourront bénéficier des subventions.
« Pour moi, la priorité, c’est l’égalité d’accès à l’éducation. C’est-à-dire que tout le monde aie le droit de recevoir l’éducation de base », estime Wu Qing, directrice du Centre culturel des femmes de la campagne de Pékin.
Dans le cadre de son activité, cela fait des années que Mme Wu se rend régulièrement à la campagne pour apprendre à lire et à écrire aux paysans.
Depuis longtemps, Wu Qing s’intéresse au problème de l’éducation des mingong. « Beaucoup d’écoles refusent les enfants des mingong. A Pékin, il en reste 200 000 qui sont privés du droit d’aller à l’école », explique-t-elle.
Considérant l’inquiétante réalité de l’éducation en Chine, Mme Wu n’est pas vraiment convaincue par les slogans de la mairie de Shipai.
« Il y a encore 130 millions d’analphabètes en Chine. La plupart d’entre eux sont des femmes. Il y a même des analphabètes qui ont une trentaine d’années, alors que l’instruction obligatoire est inscrite dans la constitution depuis 1986. Dans ce contexte, qui va contrôler la mise en place du projet ? », s’interroge-t-elle.
Des dépenses publiques insuffisantes
A l’échelle nationale, les dépenses publiques consacrées à l’éducation ont diminué dans les années 2000.
« La croissance du PIB de notre pays dépasse 8% chaque année mais les dépenses sur l’éducation représentent moins de 3% du PIB. Même dans les années 90, c’était 4% », rappelle Wu Qing.
Depuis 2003, près de dix mille écoles primaires ont été fermées dans tous le pays, conséquence de réformes qui ont regroupé des villes et des villages en agglomérations. Le nombre de villes ayant diminué, les écoles ont suivi.
« Pour les autorités, une école primaire dans chaque ville est suffisante, soupire Wu Qing. Mais en réalité, je vois des enfants qui marchent pendant 4 heures pour y aller ».
En 2008, lors du tremblement de terre du Sichuan, le peu d’investissement de l’Etat dans l’éducation s’était illustré de manière dramatique. La plupart des écoles, construites à la va-vite, s’étaient révélées très fragiles et le nombre d’élèves morts avait été très élevé.
« On voit bien que chaque fois qu’il y a un tremblement de terre, les écoles sont les premiers bâtiments à tomber. Comment le pays peut-il se développer sans attacher plus d’importance à l’éducation ? », interroge Mme Wu.
La Chine a la capacité d’investir plus sur l’éducation. Ce n’est qu’un problème de volonté. Parmi les 32 villes de son district, Shipai fait partie des 11 plus pauvres. Elle affirme pourtant être en mesure de porter le projet.
« On estime que les frais ne constituent que de 2 à 3% du budget de la ville. Cela veut dire que toutes les villes plus riches que Shipai ont la capacité de le faire », affirme le maire de la ville, interrogé par Sanlian weekly.
S’il est intéressant, le projet de la ville de Shipai reste donc un cas particulier. Car en Chine, malgré la croissance économique, le problème de l’éducation à deux vitesses entre locaux et migrants demeure, de même que l’analphabétisme massif dans les campagnes.