Le ministre s’est prononcé lundi contre la déclassification des documents en suivant un avis de la commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), publié au Journal officiel. Depuis 2001, trois ministres (Laurent Fabius, Francis Mer, Thierry Breton) ont refusé à quatre reprises, en suivant à chaque fois la CCSDN, la levée du secret défense. Cet avis défavorable pourrait entraîner la clôture rapide de l’instruction, a confié une source proche du dossier.
Le ministre de tutelle des douanes avait été saisi fin juillet de cette quatrième demande par les juges Renaud van Ruymbeke et Xavière Simeoni, en charge du dossier. Le précédent refus de la CCSDN, daté du 21 juillet, concernait les mêmes documents mais n’avait pas pris en compte l’audition comme témoin le 24 juillet de l’ancien ministre socialiste de la Défense du gouvernement de Lionel Jospin, Alain Richard. Ce dernier a mis en cause le Président François Mitterrand et son Premier ministre entre 1993 et 1995, Edouard Balladur, dans le versement des rétrocommissions.
Les deux juges cherchent à identifier les bénéficiaires en France de rétrocommissions qui auraient été versées après la vente en 1991 de six frégates à la marine taïwanaise par Thomson-CSF (aujourd’hui Thales) pour un montant de 2,8 milliards de dollars. Les documents classifiés des douanes les intéressaient car ils contiendraient une liste des bénéficiaires de commissions versées à des Chinois et des Taïwanais. Cette identification leur était indispensable pour remonter la piste de rétrocommissions dont auraient pu bénéficier des cadres de Thomson-CSF, des responsables politiques ou des partis français. La déclassification aurait également permis aux juges de réentendre des ex-cadre de Thomson-CSF qui ont invoqué le secret défense pour ne pas leur répondre.
Les investigations et commissions rogatoires internationales des juges ne leur ont pas permis jusqu’alors d’identifier les circuits financiers empruntés par ces rétrocommissions supposées.
C’est dans ce contexte que le juge van Ruymbeke avait rencontré l’ancien vice-président d’EADS, Jean-Louis Gergorin, qui affirmait avoir identifié chez Clearstream des comptes occultes ayant servi au paiement des rétrocommissions. Les juges enquêtent depuis juin 2001 dans le cadre d’une information judiciaire contre X ouverte pour « abus de bien sociaux et recel ». Elle fait suite à la découverte et au blocage par la justice suisse de 520 millions de dollars sur des comptes de l’homme d’affaires Andrew Wang, intermédiaire dans la transaction des frégates. La destination finale des fonds de Wang n’a pas pu être identifiée par les juges, si ce n’est pour un versement de 17 millions de dollars à un capitaine de vaisseau taïwanais, Kuo Lin-heng, emprisonné à vie à Taïwan pour corruption.
A Paris, un ex-cadre de Thomson-CSF a été mis en examen pour avoir perçu 150 000 dollars de Wang, postérieurement à la conclusion du contrat. Une somme de 150 000 dollars a été versée par Wang à Etienne Leandri, un proche de Charles Pasqua décédé en 1995, pour la fourniture d’un faux passeport. La justice taïwanaise a inculpé, fin septembre, huit personnes, dont Andrew Wang. Treize officiers et quinze marchands d’armes sont actuellement emprisonnés à Taïwan.