Dans un éditorial publié ce week-end, le Quotidien du Peuple dénonce l’utilisation des travailleurs précaires comme boucs émissaires des entreprises. En cas de problème, les organisations leur font porter le chapeau, et s’en délestent pour mieux survivre, à la manière d’un lézard abandonnant sa queue.

On connaît la propension des Chinois à utiliser des métaphores. Qu’elles naissent de l’inventivité des internautes, dans les médias ou dans la rue, ces expressions offrent souvent une façon imagée de se représenter, par exemple, des phénomènes de société.
Ces derniers temps, ce sont les animaux qui ont la cote pour les représentations sociales. On se souvient par exemple de l’apparition l’année dernière des « fourmis« , ces étudiants diplômés forcés de vivre en périphérie des grandes villes faute de revenus décents.
De leur coté, les « escargots » sont ces personnes de la classe moyenne qui vivent dans de minuscules logements aménagés tant bien que mal.
Ce week-end, c’est un organe de presse gouvernemental, le Quotidien du Peuple, qui est venu apporter sa pierre au zoo imaginaire de la société chinoise, en développant le concept de « queue de lézard ».
« Quand un lézard est attaqué, il coupe en général sa queue pour se défendre« , rappelle le quotidien. Une métaphore parfaite pour illustrer le comportement de certaines entreprises ou administrations à l’égard de leurs employés « temporaires », souvent enbauchés sans contrat.
« Les employés temporaires sont comme la queue du lézard, poursuit l’éditorial. Quand un accident se produit, ils sont laissés en retrait pour faire diversion et permettre (aux vrais coupables, ndlr) de ne pas assumer leurs responsabilités« .
La loi du travail toujours peu respectée
Les employés précaires, boucs émissaires des entreprises, publiques ou privées? La métaphore semble pertinente : tous les jours, les journaux regorgent de faits divers illustrant ce phénomène.
Cet été, dans le Henan, plusieurs familles ont été éloignées de force de chez elles, et ont trouvé leurs maisons détruites à leur retour. L’affaire a fait scandale, et les autorités se sont dépêché d’attribuer ces pratiques malhonnêtes à des fonctionnaires « temporaires ».
Même pratique dans le cas de vendeurs de rue tabassés, ou pour des affaires de détournement de logements sociaux. A chaque fois, quand l’affaire éclate au grand jour, les travailleurs sans contrats sont pointés du doigt.
L’exemple le plus récent de cette « philosophie du lézard » est sans doute l’incendie qui a ravagé en novembre une tour résidentielle, à Shanghai, faisant 58 morts et une centaine de blessés : immédiatement, la faute a été attribuée à des soudeurs sans formation qui participaient à la rénovation du bâtiment, plutôt qu’à la négligence de l’entreprise.
« Pourquoi les employés temporaires sont toujours les coupables? Pourquoi sont-ils si malhonnêtes? ironise le quotidien. Et la plus grosse interrogation : pourquoi les sociétés dépendent-elles autant des employés temporaires? Que font leurs véritables employés?«
Cible privilégiée des organisations en difficulté, les employés sans contrat sont pourtant interdits en Chine depuis la nouvelle loi du travail de 2008, dont l’un des buts principaux était d’imposer le recours aux contrats de travail.
En théorie, les « lézards » ne devraient donc plus pouvoir se séparer aussi facilement de leur queue. Mais en réalité, la loi reste très peu appliquée, et la précarité est encore le lot d’un grand nombre de chinois, dans tous les secteurs d’activité. Reste à voir si le gouvernement, qui semble s’en préoccuper comme le montre cet éditorial officiel, fera en sorte d’améliorer la situation.
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En France les intérimaires ne sont pas mieux traités, et les entreprises sous-traitantes servent aussi de boucs émissaire, lorsqu’il y a des accidents ou des malfaçons.
Mais ça ne fait pas la une des medias.
C’est vrai que tout n’est pas rose en France… Mais cette manière de toujours répondre aux problèmes chinois en disant « y’a des problèmes ailleurs », c’est assez typique.