Engagée, militant pour le droit à disposer de son corps, Li Yinhe revient sur sa conception de la sociologie, et sur l’un de ses thèmes d’études privilégiés : la sexualité.

Derrière une apparence discrète se cache l’une des intellectuelles chinoises les plus en vue de ces dernières années. Chercheuse à l’institut de sociologie de l’Académie des Sciences Sociales, elle était déjà présente en 1999 dans le classement des 50 personnalités les plus influentes de Chine du site Asia Times. Aujourd’hui, chaque article de son blog est lu par des centaines de milliers de personnes et ses prises de position en faveur de la libération sexuelle provoquent régulièrement des controverses et lui valent une réputation sulfureuse.
« Mes recherches ne concernent pas uniquement la sexualité, précise-t-elle d’emblée. Je me concentre également sur la famille et sur l’étude des genres. Mais cela intéresse moins les médias. Et puis, la sexualité évolue bien plus vite que les autres aspects de la société chinoise et provoque plus de débats. »
Ces derniers temps, Li Yinhe s’est illustrée en proposant à des amis députés à l’Assemblée nationale populaire des projets de loi sur la légalisation du mariage homosexuel et la dépénalisation des pratiques sexuelles de groupe. Elle soutient notamment la cause de 22 personnes incriminées à Nankin pour «rassemblement de nature pornographique», la qualification en droit pénal chinois des soirées échangistes.
Défenseuse des droits des homosexuels, sujet sur lequel elle a publié plusieurs études, Li Yinhe estime que la Chine connaît actuellement une révolution sexuelle silencieuse. « A l’origine, le sexe n’était pas du tout tabou en Chine, au contraire. C’est le confucianisme, à partir des dynasties Song et Ming, qui a favorisé le puritanisme et cela a atteint des sommets avec la Révolution culturelle. Le sexe était quelque chose de trop personnel pour la révolution ». Mais depuis une trentaine d’années, la tendance s’est inversée.
Pourtant, Li Yinhe voit dans l’affaire des 22 échangistes de Nankin ou dans la campagne anti pornographie du gouvernement une illustration du retard de celui-ci sur l’évolution des mentalités populaires. Pour elle, « le gouvernement estime encore qu’il a le devoir d’éduquer le peuple et d’être le gardien de la morale. Il veut créer une nouvelle génération de citoyen asexués. Mais le fait est que les chinois sont de plus en plus libérés et que de nouvelles pratiques se développent, comme par exemple le sado-masochisme (sur lequel elle a également publié une étude), en particulier chez les cols blancs et les intellectuels ».
Les intellectuels, chiens de garde de la société chinoise
De par ses prises de position et son goût pour l’étude des pratiques « déviantes », Li Yinhe est régulièrement l’objet de critiques. A l’Académie chinoise des sciences sociales, elle reçoit en permanence des lettre incendiaires, et a dû fermer les commentaires sur son blog suite à de trop nombreuses dérives. Elle assume pourtant sans complexe son statut d’intellectuelle engagée.
« Les gens me reprochent souvent de ne pas me concentrer sur le côté académique des mes recherches, explique-t-elle. Mais pour moi, le rôle d’un intellectuel est celui d’un chien de garde : nous observons ce qui se passe dans la société et devons aboyer quand quelque chose ne va pas. Je trouve que c’est un rôle positif et c’est celui que par tradition les intellectuels ont toujours tenu en Chine. »
Depuis quelques années, la sociologie a pris de l’importance en Chine. « Il y a peu de temps encore, on ne se concentrait que sur le développement économique. Maintenant, on entend de plus en plus parler d’harmonie entre les différentes classes de la société, de sécurité sociale… Certains de mes collègues sont même allés donner des cours de sociologie à Hu Jintao à ZhongNanHai, sourit-elle. La sociologie permet de mesurer les déséquilibres sociaux créés par le développement économique. »
Aujourd’hui populaire grâce à la médiatisation de ses travaux sur la sexualité, à 58 ans, Li Yinhe compte bien continuer ses recherches. Très active, elle vient de terminer une étude sur la condition des femmes dans un village du Hebei, et prévoit une importante recherche sur l’évolution de la sexualité depuis la création de la république populaire de Chine.
Mais malgré sa renommée, Li Yinhe reste pragmatique, et rappelle qu’elle est encore loin d’avoir la popularité de son mari Wang Xiaobo, célèbre romancier décédé en 1997 dont l’œuvre a influencé toute une génération d’écrivains chinois.
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