Connu pour être le dirigeant chinois le plus proche du peuple et des médias, Wen Jiabao a donné récemment une interview exclusive à CNN, dans laquelle il évoque notamment le « besoin de démocratie » de son peuple. L’interview, que les principaux médias chinois ont pris soin d' »harmoniser », a été largement débattue sur le net chinois.

On ne peut pas dire que les dirigeants chinois soient particulièrement enclins à donner des interview à la presse, de surcroît étrangère.
L’interview exclusive que CNN a obtenue du premier ministre Wen Jiabao, la première depuis celle que « grand père Wen » avait accordée au même journaliste en 2008, est donc un événement.
D’autant plus que M.Wen a profité de cette interview pour aborder des sujets que les dirigeants chinois préfèrent en général éviter en public, comme les réformes politiques ou la démocratie.
Il faut dire que depuis quelques temps, le Premier ministre s’exprime régulièrement sur le sujet, au grand étonnement des observateurs.
En avril, il avait provoqué la surprise en publiant dans les médias officiels un article à la gloire du réformateur Hu Yaobang, limogé et oublié par le parti en raison de ses prises de positions trop libérales.
En août, Wen Jiabao avait surpris en appelant à une réforme politique pour « résoudre le problème de la concentration excessive et illimitée du pouvoir« .
Wen Jiabao se lâche
Ce week-end, face à Fareed Zakaria, de CNN, le Premier ministre a remis le couvert, et a dû faire grincer quelques dents du côté de la ligne dure de son parti.
« L’envie, et le besoin de démocratie et de liberté du peuple sont irrésistibles » a-t-il estimé, ajoutant que le parti « devrait agir selon la loi, et selon la constitution ».
« Malgré les résistances, j’agirai imperturbablement en accord avec ces idéaux, et je ferai avancer, dans la mesure de mes capacités, la restructuration politique« , a-t-il ajouté.
Ces remarques ont immédiatement alimenté les supputations des différents commentateurs, qui ont pour beaucoup limité leur portée réelle.
D’abord, le Premier ministre est maintenant à deux ans du terme de son mandat. Même avec une immense volonté, il est peut probable qu’il ait le temps de mettre en oeuvre ne serait-ce que le début de ces pojets.
Et même si ses paroles pourraient être utiles comme appui à de futurs réformateurs, elles risquent en réalité de ne pas impliquer grand chose.
Ensuite, certain ont fait remarquer que des mots comme « démocratie » ou « valeurs universelles » revêtent très probablement dans la bouche d’un dirigeant chinois un sens très différent, et plus limité, que celui entendu en Occident.
« Même si il veut réellement ce qu’il avance, il ne peut pas le faire, a estimé Chen Yongmiao, un activiste cité par le Guardian. Pour qu’une réforme politique ait lieu en Chine, il faudrait qu’un leader très puissant affronte la bureaucratie, qui est constituée d’énormément de gens, qu’il s’oppose à elle et qu’il en vienne à bout. Seuls Mao et Deng ont eu ce genre de pouvoir« .
En Chine, la censure filtre l’interview
Ironie du sort, les censeurs chinois n’ont guère goûté les propos du Premier ministre qui appelait à plus de liberté d’expression, et se sont empressés de l’harmoniser » (euphémisme chinois pour dire « censurer »).
De Pékin, une requête Google « Wen Jiabao CNN » en chinois provoque directement l’apparition d’un message d’erreur. En cherchant sur Baidu, son concurrent chinois, on trouve des transcriptions de l’interview par l’agence Xinhua et le Quotidien du Peuple, mais les parties « sensibles » ont été retirées, et la partie destinée aux commentaires est fermée.
Sur un forum, des internautes ont moqué un article du Liberation Daily qui réussit la prouesse de ne pas citer une seule fois Wen Jiabao, et se contente de comparer les questions du journaliste par rapport à sa précédente interview, en 2008.
Des transcriptions complètes ont pourtant été publiées par quelques petits sites et blogs, tels que Wangyi, et les commentaires de soutien enthousiaste aux déclarations du Premier ministre se sont multipliées.
« Beaucoup de chinois ne savent pas que leur Premier ministre s’est fait « harmoniser », a ironisé Hu Yong, chercheur spécialisé sur Internet de l’université de Pékin, sur son compte Twitter. Mais la censure des commentaires de Wen Jiabao sur la réforme politique nous apprend au moins une chose : en face du grand mur, tout le monde est égal« .
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