La mode chinoise s’inspire de symboles kitsch et rétro puisés dans des périodes historiques difficiles. Signe de la fierté retrouvée du pays, T-shirts à l’effigie de la Danwei, tennis Feiyue, tasses en métal reviennent en grâce après avoir été délaissés au profit de marques occidentales

Dans une boutique du quartier branché de Nanluoguxiang à Pékin, une jeune fille regarde un T-Shirt avec curiosité. Il est blanc, avec un dessin en noir et rouge : un cadre du Parti sourire aux lèvres, les mains sur son bureau, sur lequel sont posés les drapeaux du Parti communiste et de la République Populaire de Chine. En dessous, il est écrit « Danwei », ou « unité de travail », généralement l’entreprise collective, en référence à la période de l’économie planifiée maoïste. « Celui-là est cool, dit la jeune fille, je l’aime bien ».
Comme elle, de plus en plus de jeunes sont attirés par des produits kitsch ou symboles d’un temps révolu, 30 ans après les premières réformes économiques. Alors que le pays n’a cessé de s’ouvrir aux marques extérieures, la mode chinoise cherche désormais à s’inspirer de signes d’une Chine passée: le thermos à fleurs, les tennis Feiyue ou les T-shirts à l’effigie du communisme.
Envie de symboles chinois
La Chine serait-elle touchée par la maostalgie comme les jeunes Berlinois peuvent l’être par l’ostalgie ?
Si dans les années 90 la jeunesse chinoise était assoiffée de produits importés, la fierté de voir le pays organiser les Jeux olympiques ou envoyer une fusée dans le ciel a donné à certains l’envie de consommer des produits estampillés Chine. Au premier rang de ces produits se trouvent les Feiyue, tennis blanches à rayures bleus et rouges dont l’espérance de vie dépasse rarement quelques mois, longtemps tombées en disgrâce avant de revenir au goût du jour. Elles ont été relancées par un designer français dans l’Hexagone, mais le constat de leur succès auprès des étrangers inspire désormais certains bobos pékinois ou shanghaïens. Leur prix, qui n’avait cessé de chuter est d’ailleurs remonté d’une dizaine de yuans en quelques mois dans la capitale chinoise.
Surfant sur cette vague rétro, Dominic Johnson-Hill, un Anglais installé en Chine depuis 16 ans a créé sa propre marque il y a un peu plus de 3 ans. Depuis, ses produits et sa marque Plastered 8 sont disponibles dans 7 points de vente en Chine ainsi qu’à Paris, Londres, Singapour et Seattle. A Chaque fois, un design kitsch ou rétro : T-shirts à la gloire du ping-pong, godets en métal des cantines d’autrefois, affiches à l’effigie du Goldfish, le produit vaisselle ayant lavé des générations de bols chinois, etc…
S’inspirer des 60’s, comme en Occident
« En Occident, la mode regrette les 60’s, ici c’est pareil, explique Dominic Johnson-Hill, qui s’est auto-proclamé dictateur de création de sa marque. Les Chinois veulent désormais s’inspirer des symboles chinois, ils puisent dans leur histoire contemporaine ».
Dans un pays où la créativité n’a pas toujours été encouragée à l’école et où l’inspiration est longtemps venue de l’étranger, cette mode 100% Made in China a de quoi séduire non seulement les créateurs mais aussi les autorités à présent soucieuses de voir se développer des entreprises innovantes chinoises. Le dictateur créatif de Plastered 8 a ainsi reçu 20 000 yuans d’aides des autorités pour développer ses activités. « Ils ont également pris en charge le dépôt de ma marque et je bénéficie de déductions fiscales » dit-il.
Il explique que si la première année a été un peu difficile, les clients chinois ont depuis fait preuve d’un réel engouement pour ses produits.
Lui qui est installé depuis longtemps dans le quartier de Gulou, distingue 2 vagues successives dans le retour à la mode du kitsch socialiste. « Depuis une dizaine d’années, elle est apparue dans des milieux artistiques, underground, une certaine élite », dit le directeur de Plastered 8. Mais depuis 2-3 ans, en parallèle à l’approche des Jeux olympiques, le pays a retrouvé confiance en lui, cette mode a commencé à toucher un plus large public. « De jeunes couples prennent leur photo de mariage en habits de l’Armée populaire de libération, constate Dominic Johnson-Hill. Leurs grands parents doivent être interloqués ». Dans la boutique Plastered 8 ou chez ses concurrents des alentours, certains clients sont des Occidentaux à la recherche de souvenirs de voyage, mais la plupart des clients sont chinois.
Personne ne voudrait revenir en arrière
C’est que cette jeune génération, qui a grandi après le début de l’ouverture économique, n’a pas connu les temps difficiles, même si elle en a entendu parler. Même chez les personnes plus âgées, on ne s’offusque pas de l’utilisation de symboles tels que la Danwei, ou l’image de Mao. Dominic Johnson-Hill assure que personne ne lui a jamais reproché d’utiliser ces images. « J’imagine que les Chinois prennent cela avec plus de légèreté. C’est le passé, ils ont une certaine capacité à aller de l’avant » dit-il.
Faut-il voir autre chose qu’une mode vestimentaire dans la maostalgie ? « Certains regrettent le manque actuel d’idéologie dans la société chinoise, la perte des valeurs de solidarité, le bol de riz en métal que l’on partageait, estime Dominic Johnson-Hill. Mais soyons clairs, personne ne voudrait revenir à cette époque ».
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