Pour les étrangers, se présenter à l’examen du permis de conduire en Chine est une expérience déroutante, à la mesure de ce qui les attend par la suite: conduire sur les routes réputées les plus dangereuses du monde.

En cas de blessure abdominale ouverte, si l’intestin est à l’air libre, faut-il A. le remettre en place? B. ne rien faire C. le recouvrir d’un récipient qu’on aura fixé avec un tissu autour du corps? La réponse est C. Et la question est l’une des 100 auxquelles tout candidat au permis de conduire en Chine doit répondre correctement pour le décrocher.
Comme le socialisme, le questionnaire de préparation à l’examen, qui compte au total près de 800 questions et qu’il est conseillé de réviser sérieusement, présente des « caractéristiques chinoises ». « Que doit faire le conducteur quand il a besoin de cracher? A. Cracher par la vitre? B. cracher dans un mouchoir en papier qu’il jetera dans une poubelle? C. Cracher dans sa voiture »? Réponse B, bien sûr.
Les questions concernant les panneaux de signalisation sont plus universelles. Là, pas de choc culturel. Mais parfois pour le candidat étranger, c’est du chinois: deux réponses sur trois conviennent ou la réponse donnée comme étant la bonne est à l’évidence fausse.
Ce matin-là, juste avant l’examen du permis, des expatriés américains, russe, sud-coréen et français attendent l’heure au Bureau de la circulation de Pékin, dans une salle réservée aux étrangers, derrière les toilettes. Sur un écran plat passe en boucle un film hyperréaliste: grand blessé gisant ensanglanté sur la banquette arrière d’une voiture, conducteur hébété assis près d’une autoroute après un accident ou familles endeuillées en larmes. Nikita, un Russe qui travaille à Pékin pour une compagnie aérienne de son pays, est totalement confiant: il a passé quatre jours à réviser le questionnaire à choix multiples.
Top départ. Une vingtaine d’étrangers ont pris place dans la salle d’examen, face à un ordinateur. Inscrire son numéro d’identifiant, choisir sa langue d’examen, cliquer au plus vite sur A, B, C ou Vrai ou Faux ou Oui ou Non, et faire rapidement défiler les questions pour arriver à la 100e en moins de 45 minutes.
Le verdict est instantané. Des candidats de l’ambassade des Etats-Unis, venus en délégation, sortent de la salle en exultant: ils ont atteint le seuil fatidique de 90 bonnes réponses sur 100. « On avait révisé tout le week-end », explique l’un d’eux. Tous sauf un, qui sort déconfit: 82 points seulement. « C’est moins rageant que si tu en avais eu 89 », avance une amie, philosophe. Pour Nikita, c’est la Bérézina. 45 points. Le questionnaire en russe était incompréhensible.
Les candidats étrangers déjà détenteurs d’un permis dans leur pays ne sont soumis à aucun test de conduite, contrairement à la population chinoise. Avant, ils doivent juste subir un contrôle de la vision. Là aussi, on a des surprises. Dans un hôpital de quartier, l’infirmière ophtalmo vous propose de lire, en cachant un oeil alternativement, un panneau lumineux. Mais dans une glace. Il y a des lettres que même dans votre langue maternelle vous ne sauriez nommer. Un E avec les jambes vers la gauche, vers le haut ou vers le bas, euh.., ça s’appelle comment?
Le permis en poche, tous sauf Nikita et quelques autres ont quitté les locaux du Bureau de la circulation. A l’entrée du parking, trônent, en guise d’avertissement, deux carcasses noires de voitures réduites en millefeuille. Et dans les rues, personne (à part vous) ne semble avoir révisé récemment son code de la route: les voitures doublent par la droite, les taxis grillent les feux rouges, les vélos circulent à contresens et les piétons traversent sans regarder. Pas tous, mais beaucoup. La circulation a fait 73.500 morts et 304.000 blessées l’an dernier dans le pays. Bienvenue sur les routes de Chine, considérées comme les plus dangereuses au monde.