Oubliez Facebook et Twitter. En Chine, les internautes passent leur temps sur Kaixin, Renren et autres. Parce que leurs concurrents occidentaux sont bloqués, mais aussi parce qu’ils ont su s’adapter aux goûts des jeunes chinois.

L’histoire de Kaixin rappelle les réussites flamboyantes de Facebook ou de Twitter. En mars 2008, quittant son poste de directeur des technologies de sina.com, le plus grand portail Internet du pays, Cheng Binghao loue un petit appartement à Pékin où il lance Kaixin, littéralement « joyeux » ou « s’amuser ». En moins de 2 ans, le site allait connaître un succès fulgurant auprès des internautes chinois.
Lorsque Cao Zhufei, jeune diplômée, se reconnecte sur son profil Kaixin après un mois de vacances, elle est submergée de requêtes et de notifications. Une centaine de messages lui indiquant qu’elle a été « vendue » des dizaines de fois, que son « prix » est monté jusqu’à 100 000 yuans, en plus des nombreuses demandes d’ajout d’amis. « C’est dur d’entretenir une page comme ça, mais je ne peux plus m’en passer » dit la jeune fille. C’est ainsi que la génération de Chinois née dans les années 80 décrit l’ambivalence de sa relation aux réseaux sociaux sur internet.
Les enfants uniques des villes, qui ont grandi dans un confort matériel bien supérieur à celui qu’ont connu les générations précédentes, avides de nouvelles technologies, souffrent aussi parfois d’une grande solitude et d’une pression scolaire et sociale énorme. Ces réseaux sociaux virtuels sont à la fois une mise en scène de soi, une possibilité d’établir et d’entretenir des contacts et un lieu où chacun peut s’évaluer, se comparer aux autres.
Deux mois auparavant, la jeune Cao possédait déjà un capital virtuel de plusieurs dizaines de millions dans la monnaie d’une application, 9 esclaves dont son petit ami et des collègues avec qui elle aime rigoler dans un autre jeu. « J’avais l’habitude de passer environ 3 heures par jour sur le site kaixin, se souvient Cao Zhufei. Il fallait que je ramasse des légumes sur mon petit lopin de terre (un autre jeu, ndlr) et, dès que j’avais un peu de temps, j’engageais des discussions ou me lançais dans des courses automobiles en ligne. Quand j’ai découvert ce site, j’ai été fascinée. Pendant six mois, je me suis connectée plusieurs fois par jour, avec beaucoup de ferveur. Maintenant je me connecte de manière plus raisonnable ».
« Ce phénomène qui s’apparente à une addiction à l’alcool est en fait un symptôme de dépendance aux relations socialles virtuelles, derrière lequel se cachent les besoins réels des jeunes, comme se faire des amis, jouer en groupe ou se délivrer de la pression, remarque Ren hong, psychiatre à Xiamen, dans Le Quotidien de Canton. L’intéractivité de ces sites peut compenser le regret d’avoir de moins en moins d’occasions de se retrouver avec des amis dans la vie réelle.
Conscients ou ignorants des problèmes de leur époque, les jeunes qui surfent sur Internet sont à la recherche de leurs propres valeurs. Ces réseaux sociaux participent ainsi à la construction de l’identité et peut répondre à un besoin de se rassurer sur qui ils sont, quelles expériences et combien d’amis ils ont, à une époque où les repères sont fragiles.
Kaixin s’impose, Facebook disparaît
L’engouement pour les sites SNS est incontestablement un phénomène global. La Chine ne fait pas exception à la règle mais, sur la toile chinoise, il est désormais impossible d’accéder à Facebook ou à Twitter, utilisés partout ailleurs.
Souvent critiqués pour leur étrange ressemblance à Facebook, Kaixin et ses concurrents, Renren ou QQ, sont au cœur de nombreux débats.
Zoe Wang, étudiante chinoise de 23 ans à l’université de la Colombie-Britannique au Canada, passe chaque jour un temps considérable sur Renren, site social destiné aux étudiants. Ce dernier fait déjà partie de sa vie quotidienne. Elle explique son choix. « Renren est un chouette lien quand on est éloigné de ses amis et de sa famille. J’y passe environ une heure par jour pour répondre aux messages personnels, discuter et commenter des photos, c’est sympa. J’utilise Facebook aussi mais j’y ai moins d’amis, puisque ça ne marche plus en Chine… je trouve que ce genre de sites est quelque chose de bien, grâce cela, j’ai pu connaître mieux mes amis, je cerne de plus en plus leur personnalité et on rigole bien. »
Mais le goût pour ces sites domestiques ne fait pas l’unanimité. « J’ai un compte sur Renren, mais je me connecte rarement. Son côté espionnage m’insupporte. C’est plutôt pour des gens qui ont un côté exhibitionniste. Moi, je n’ai pas envie que ma vie soit étalée aux yeux de tout le monde. Kaixin ? Je ne créerai jamais un compte sur Kaixin malgré les recommandations» affirme Huang yuhao, étudiant à l’universié de Californie, à Berkeley.
Il est bien plus susceptible d’aller sur Facebook, comme le font la plupart de ses camarades occidentaux. « Facebook fait plus de cas de la présentation personnelle au lieu des jeux interactifs, ce qui est plus simple et direct au niveau de la communication. Facebook est quand même meilleur que Renren, du moins on ne laisse pas de trace en passant (voir) le profil d’autrui ! ». En effet, sur Renren, chacun peut savoir qui a jeté un oeil sur son profil, une caractéristique qui ne passerait pas auprès des internautes étrangers et fait parler auprès du public chinois.
Kaixin et compagnie sont-ils des contrefaçons de Facebook ? Dans une interview au Quotidien de Canton, le fondateur de Kaixin Cheng Binghao s’explique : « Facebook est sans doute l’un des meilleurs parmi les sites SNS mais on ne peut dire que tous ceux qui font du SNS l’ont imité. »
Il souligne que Kaixin a beaucoup innové pour mieux répondre aux besoins des internautes chinois. Par exemple, le jeu « paroles sincères » est tiré d’un jeu populaire parmi les cols-blancs chinois, tandis que l’application « acheter une maison » est elle liée au problème actuel du logement en Chine.
Blocage des concurrents ou pas, comme le relèvent certains analystes, le public chinois est simplement plus porté vers des outils mieux adaptés à lui culturellement.
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