Le monde semble avoir pris conscience de l’importance des réseaux sociaux chinois, mais pas encore de la fiabilité de ce qui s’y échange. L’assassinat de Kim Jong-un made in Weibo, a fait buzzer l’Occident, il s’agirait finalement d’une fête à l’ambassade nord-coréenne de Pékin.

C’est le jeu du téléphone arabe, aux proportions de l’internet chinois. Ou comment quelques voitures garées à Pékin amènent le monde à penser qu’un dictateur de Pyongyang est mort.
A la source de l’affaire, Hucaihe, utilisateur lambda de Weibo, dont on ne connaît que le pseudonyme. Travaillant à proximité de l’ambassade de Corée du Nord à Pékin, il fait part de ses plus menues observations aux twitteratis du réseau chinois.
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Le 10 février à 12:19, Hucaihe s’interroge à haute voix : « Au pied du bureau, de plus en plus de voitures de l’ambassade coréenne, plus de 30 maintenant. C’est la première que je vois ça, quelques chose s’est passé en Corée ? ».
Un message qui aurait pu tomber dans les oubliettes de Weibo, où plus de 250 millions de Chinois partagent quotidiennement pensées et trouvailles. Pas celui-ci. Repostée 12 000 fois, l’observation de pause-midi se mue peu à peu en scénario de roman d’espionnage. Quelques heures plus tard, c’est ce tweet qui interpellera les internautes du monde entier :
“D’après des sources fiables, le leader Nord-coréen Kim jong-un a été assassiné à Pékin le 10 février à 2 heures et 45 minutes. Une personne non identifiée est entrée par effraction dans sa résidence, a tiré, et a par la suite été abattue par les gardes du corps »
Entre les deux messages, quelques milliers d’internautes qui reformulent, exagèrent ou spéculent, pour soigner leurs followers, être les premiers sur l’info… ou simplement s’amuser.
Certains se laissent convaincre par une photo censée montrer le parking remplit de l’ambassade, d’autres plus tard par une « confirmation » d’un faux compte de la BBC. Comme d’habitude, les bruits les plus fous courrent sur Weibo : l’assassinat a causé un incident diplomatique, les troupes chinoises et nord-coréennesse rassemblent et avancent…
« Le Twitter chinois dit que… »
Ce qui est le plus intéressant dans le phénomène, c’est l’écho qu’aura eu la rumeur chinoise en Occident. Alors que la Chine s’endort, Twitter buzze sur le sujet, les rédactions s’affolent pour obtenir le plus rapidement possible une confirmation.
Certains sites, comme Gawker, font des appels à témoins en Chine pour vérifier l’info, et les agences de presse publient des dépêches, qui notent que « plusieurs médias ont déjà diffusé l’information ».
Des blogs, mais aussi quelques sites d’information n’hésitent pas à faire les gros titres sur l’assassinat du jeune dictateur. On précise que c’est une rumeur, mais on lui fait la place d’une information vérifiée, histoire de prendre de l’avance sur une éventuelle confirmation.
Les titres expliquent que « le twitter chinois dit que… » : après avoir soufflé un vent de liberté sur la Chine, Weibo est devenu une source d’info pour le monde.
Il y a fort à parier que cet excès de confiance soit dû aux récents faits d’arme du réseau chinois. En 2011, Weibo a fait parlé de lui, et le monde sait désormais que l’on peut en tirer des vérités sur un pays peu accoutumé à la transparence.
L’accident de train de Wenzhou, l’été dernier, mais surtout l’affaire Wang Lijun, qui fait toujours courir les tweets… autant d’exemples qui ont montré que les internautes chinois peuvent « faire » l’info, alors que les médias traditionnels n’échappent pas au contrôle des censeurs.
Déstabilisation ? Anniversaire…
Le buzz s’essoufflera aussi rapidement qu’il est né : des twitteratis vigilants mettent en évidence le manque de fiabilité de l’info. « Twitter dit aussi que les Jonas Brothers sont les meilleurs », rigole Matt Binder.
Des spécialistes de l’internet chinois notent que des rumeurs comme celles-ci « naissent chaque semaine sur Weibo » (Joe Xu, de ChinaSmack), et que les faits rapportés sont « assez invraisemblables » (Dan Benett).
ABC News obtiendra quelques heures plus tard un démenti des autorités américaines. « Il n’y a aucune indication qui laissent penser que les rumeurs soient fondées », indique un officiel, « nos experts surveillent la situation sans voir aucune activité anormale ».
La chaîne américaine remarque que la famille Kim est la cible fréquente des rumeurs de Weibo, où certains rapportaient un coup d’état en janvier, ou une tentative de putsh de Kim Jong-nam, le fils aîné de Kim Jong-il.
Dans la presse anglophone certains se demandent s’il ne s’agit pas d’une tentative volontaire de déstabilisation de l’économie sud-coréenne. L’agence Phoenix semble avoir une théorie différente : le 8 février ont commencé les festivités de l’anniversaire de Kim il-sung, père fondateur du régime de Pyongyang, et devraient durer plusieurs jours. De quoi remplir les parkings de l’ambassade.
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