Pierre Haski du site Rue 89 nous explique qui sont les vrais amis de la Chine, avant la cérémonie du prix Nobel à Oslo.

Il y aura vingt chaises vides, vendredi à Oslo, pour la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo. Celle du lauréat lui-même, qui croupit dans une cellule chinoise, condamné à une lourde peine pour avoir rédigé un appel à la démocratisation de la Chine. Mais aussi celles de la Chine et de dix-huit autres pays qui ont décidé de boycotter la cérémonie pour plaire -ou ne pas déplaire- à Pékin.
La Chine, forte de son statut de puissance émergente incontournable, économiquement mais aussi, de plus en plus, politiquement, a fait de ce prix Nobel honni un test, et fait pression sur ses alliés et « clients » pour qu’ils boycottent avec elle la cérémonie d’Oslo.
Les pays qui l’ont suivie et l’ont annoncé constituent une liste intéressante d’alliés politiques et de partenaires économiques : Russie, Kazakhstan, Colombie, Tunisie, Maroc, Arabie Saoudite, Pakistan, Irak, Iran, Vietnam, Afghanistan, Venezuela, Philippines, Soudan, Egypte, Ukraine, Cuba, Serbie.
A Pékin, le porte-parole des Affaires étrangères a affirmé qu’une centaine de pays et d’organisations avaient répondu à l’appel de la Chine, mais seuls ces dix-huit Etats se sont affichés ouvertement en solidarité avec Pékin.
Un désastre de relations publiques
La Chine a en fait transformé ce prix Nobel en désastre de relations publiques. Elle a recours à une rhétorique des temps anciens pour dénoncer un complot « antichinois », et traiter le comité Nobel de « clowns ». Ce n’est vraisemblablement efficace ni en interne auprès d’une opinion certes sensible à l’argument nationaliste, mais qui n’est pas dupe de la propagande, ni à l’international.
Quarante-huit heures avant cette cérémonie qui la rend furieuse, la Chine a même décerné sa propre récompense, le prix Confucius de la paix, doté de 15 000 dollars, attribué à un homme politique taïwanais, Lien Chan, un ancien président du parti Kuomintang, qui a joué un rôle important dans le rapprochement entre l’île et le continent.
Ce tir de barrage, pas plus que la farce du prix Confucius, n’inverseront l’impact de la chaise vide du prix Nobel, ainsi que l’absence de sa femme assignée à résidence, et même de sa famille et de dizaines de ses amis qui ont été empêchés de quitter le pays.
Et personne ne sera dupe de l’accusation, répétée par le porte-parole des Affaires étrangères cette semaine, selon laquelle Liu Xiaobo, un intellectuel de 54 ans déjà emprisonné par le passé pour son engagement politique, a été condamné pour avoir incité à la violence.
Tout lecteur de la Charte 08, le texte qui lui vaut cette peine de onze ans de prison, et que Rue89 avait traduit dès sa publication en décembre 2008, n’y verra qu’une déclaration de principe en faveur d’une Chine démocratique. Il est inspiré par la Charte 77 des dissidents tchèques conduits par Vaclav Havel, qui l’a d’ailleurs parrainé à Olso.
Le grand écart chinois
Le paradoxe de cette défaite d’image de la Chine est que cette propagande à l’ancienne, due au plus archaïque des membres du bureau politique du Parti communiste chinois, Li Changchun, l’homme qui est également nommé dans les fuites de WikiLeaks comme responsable de l’espionnage de Google, contraste avec l’évolution considérable de la société chinoise.
Dans le grand théâtre que constitue la Chine, il y a d’un côté la machine de propagande qui continue comme avant, et de l’autre côté, une société civile, des débats, des intellectuels, et une scène internet décoiffante.
Le même jour que cette déferlante de langue de bois, deux sociétés internet chinoises faisaient leur entrée à la bourse de New York, dont l’une, Dandang, est l’« Amazon » chinois, fondée par un couple d’anciens étudiants aux Etats-Unis, qui incarnent mieux que quiconque le dynamisme et la réussite économique chinoise. Ce grand écart est-il tenable à long terme ?
Du côté des défenseurs des droits de l’homme, qui se sont réjouis de l’attribution du Nobel à Liu Xiaobo, on espère que ce prix contribuera à ouvrir la société chinoise, malgré la réaction négative actuelle. Parmi les invités à Oslo figure Salil Shetty, nouveau secrétaire général d’Amnesty International, d’origine indienne, qui, de passage récemment à Paris, déclarait à Rue89 que ce prix accordé à Liu Xiaobo était :
« […] une chose positive, car il donne beaucoup d’encouragements et d’inspiration pour tous ceux qui, en Chine, estiment que la liberté d’expression et de réunion ne leur est pas accordée. Bien sûr, ça a un prix à court terme, notamment avec le fait que sa femme a été placée en résidence surveillée, mais dans l’ensemble, nous pensons que c’est un développement positif ».
Dans un premier temps, il est clair que la cérémonie d’Oslo sera vécue comme une agression par Pékin : la chaise vide de Liu Xiaobo pèsera symboliquement bien plus lourd que les dix-neuf chaises vides de la Chine et de ses amis.
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