Les remèdes traditionnels passent par les plantes, mais aussi par les animaux. Culte de la rareté et manque de contrôles mettent en péril plusieurs espèces protégées.

Après d’ultimes recherches, il a bien fallu se rendre à l’évidence : il n’y a plus de rhinocéros de Java en Asie continentale. Fin octobre, le Fond mondial pour la nature (WWF) annonçait que le spécimen trouvé mort au Vietnam quelques mois plus tôt était bien le dernier de son espèce sur le continent.
Rhinover
Découverte avec une balle dans la patte, la carcasse de l’animal ne laisse pas de doute quant aux causes de sa mort : C’est du braconnage, sa corne a été arrachée pour être vendue. Destination probable : la Chine, où la médecine traditionnelle lui prête des vertus dans la guérison du cancer, ou de fortes fièvres.
La médecine traditionnelle chinoise englobe des pratiques présentes en Asie du Sud-Est ou en Indonésie, mais ce n’est un mystère ni pour les braconniers ni pour les organisations de défense de la nature, c’est bien en Chine qu’un ingrédient si rare trouvera le plus facilement preneur.
La pratique dans cette médecine, « alternative » dirions-nous en Occident, est très forte chez les Chinois, et les classes aisées, de plus en plus importantes, sont prêtes à mettre une fortune dans ses prescriptions. La corne de rhinocéros, une fois réduite en poudre, est revendue au marché noir, souvent dans l’arrière-boutique des échoppes spécialisées, où elle s’arrache à plusieurs dizaines de milliers d’euros le kilo. Largement de quoi encourager son commerce malgré une interdiction mondiale.
Le marché aux raretés
Il suffit de faire un tour dans l’immense marché de médecine traditionnelle de Canton, réputé pour fournir la plupart des magasins du pays, pour se rendre compte que le rhinocéros n’est pas la seule espèce à devoir s’inquiéter.
Si la vaste majorité de la pharmacopée traditionnelle tourne autour des plantes, des bulbes et autres champignons non moins rares, des rues entières se spécialisent dans les mécanos animaliers. Au menu, bois et pénis de cerfs, hippocampes séchés par millions, fagots de serpents et autres bocaux remplis d’ailerons de requins
Interrogez un « croyant », rares sont les Chinois de bel âge qui ne le sont pas, sur les conséquences environnementales d’un tel commerce et vous aurez souvent la même réponse : « C’est parce que les Occidentaux refusent de comprendre cette médecine qu’ils la critiquent, on en achète seulement en toute petite quantité ».
Des petites quantités et des millions de consommateurs, dont peu, il est vrai, ont accès aux produits les plus précieux. Mais ces derniers s’orientent alors vers ce qu’il y a de plus rare, synonyme de vertus dans la médecine traditionnelle, avec pour conséquence un attrait particulier pour les espèces protégées ou en voie de disparition.
Le cas le plus médiatisé est sûrement celui du tigre, dont le pénis, les os et les dents ont une très bonne réputation thérapeutique.
Boum du tigre
La chasse du tigre a été tellement intense que les spécimens sauvages chinois se comptent sur les doigts de la main, et la demande continuelle fait peser un risque sur toute l’espèce, explique WWF.
Une étude de 2007 révèle que 43% des adultes auraient consommé des produits contenant des parties du félin (dont des pansements et du vin à base d’os), malgré leur interdiction et leur retrait officiel en 1993 de la pharmacopée locale. 88% d’entre eux était de plus conscients de l’illégalité de leurs remèdes.
Et certains n’hésitent pas à faire pression en Chine pour la levée de l’interdiction, avec comme argument les milliers de tigres élevés en captivité qui pourraient alimenter le commerce. « Faux » répondent les associations, pour qui l’autorisation aura pour conséquence l’augmentation du braconnage, moins coûteux que l’élevage, et sans traçabilité possible.
Le gouvernement chinois est sur cette question en porte-à-faux. D’un côté, ses mesures de contrôle sont inefficaces et la sensibilisation discrète, des officiels allant même jusqu’à nier la responsabilité de la médecine traditionnelle.
De l’autre, il reste officiellement en accord avec la communauté internationale : le problème a même été abordé, en novembre dernier, à Saint-Pétersbourg, lors d’un sommet spécial réunissant les treize pays abritant le tigre, durant lequel Wen Jiabao a promis d’intensifier la lutte contre ce commerce.
Il reste aujourd’hui moins de 3000 tigres sauvages dans le monde, ce qui classe l’animal parmi les espèces les plus menacées, tout comme le rhinocéros, dont plus de 1000 individus ont été tués pour leurs cornes depuis 2007.
A ces espèces protégées mais consommés par l’industrie de la médecine chinoise, il faut ajouter l’hippocampe, les tortues, les requins, ou même les antilopes d’Asie Centrale… dont les cornes sont un bon substitut quand le rhinocéros est introuvable.
Les missions d’éducation sont dures, car les Chinois mettent en opposition les logiques de leur médecine, dont l’exactitude est fondée uniquement sur l’expérience du passé, et celles de la science « occidentale ».
La mondialisation de l’une et l’autre représente néanmoins un espoir. Plusieurs organisations de médecine chinoise ont par exemple contesté ouvertement l’efficacité des cornes de rhinocéros contre le cancer ou d’autres maladies.
Un pas dans le bon sens pour les organisations de protection, mais qui arrive à leur goût très tard. Dès 1993, WWF avait commandé une étude internationale sur le sujet, résultat : « manger de la corne de rhinocéros revient, en terme de bénéfice médical, à mâcher ses propres cheveux. »
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Très bon article. Cependant je ne suis pas sûr que la médecine traditionnelle chinoise soit le maux à toutes ces disparitions d’espèces. Il y a peut être beaucoup de Chinois en Chine, mais tous (comme le dit l’article) n’ont pas accès à ces remèdes très chers, ce qui limite donc beaucoup les consommateurs (sachant qu’un chinois gagne en moyenne 4260$/an : http://donnees.banquemondiale.org/pays/chine ).
Pour ce qui est du tigre, cela me rappelle mon voyage dans les villages Miao, à 7h de route de Guilin. Les villageois m’avait expliqué avoir tué le dernier tigre de leurs montagnes il y a de cela 30 ans, non pas pour la médicine traditionnelle et donc la revente, simplement parce que le tigre, comme les loups chez nous mettait en danger leur élevage.
Au final, je pense que la chasse pour les peaux, pour les cornes, parce qu’avoir une table en corne de rhinocéros dans son salon c’est forcément le top, sont bien plus responsable de la disparition d’espèces animales que le fait de se soigner grâce à la médecine chinoise, qui passent quand même beaucoup par les plantes.
不管黑猫白猫,能抓老鼠就是好猫 – 邓小平
J’ai plusieurs fois abordé le sujet avec des Chinois. Pas mal de jeunes qui disent « ouais, c’est n’importe quoi, mais bon, hein, c’est comme ça… », mais aussi pas mal de vieux qui plaident (encore une fois) le « vous ne comprenez rien à la culture chinoise, vous voyez tout a travers votre optique » et surtout « les européens ont aussi tués beaucoup de tigres et de rhino »… Le problème, c’est que c’est hyper dur de condamner ces croyances en tant qu’étranger, bizarre qu’il n(y ait pas de chinois qui en fasse un combat…
… A force de passer juste au dessus de la barre …