Si la Chine est devenue ces dernières années le « terrain de jeu » des architectes étrangers, des bâtisseurs chinois commencent cependant à s’imposer sur leurs propres terres. Paradoxalement, il leur aura fallu d’abord s’imposer à l’étranger avant de commencer une véritable carrière en Chine.

La frénésie, qui s’est emparée des grandes villes chinoises avec l’ouverture et les réformes économiques, a attiré les constructeurs occidentaux, connus ou inconnus, limités dans leurs pays.
« La Chine est une nouvelle frontière pour les architectes du monde entier en quête d’expériences. Ici, on est dans un urbanisme-bâtisseur, les architectes construisent beaucoup et la part de créativité semble infinie », souligne Jean-François Doulet, enseignant-chercheur, spécialiste des villes chinoises.
Ces dernières années, les programmes architecturaux les plus prestigieux ont souvent été attribués à des grands noms étrangers. A Pékin, le Français Paul Andreu construit le Grand Théâtre National, l’équipe du Néerlandais Rem Koolhaas le prochain siège de la télévision centrale.
Dans ce contexte, Ma Yansong, un jeune architecte chinois de 31 ans, formé en partie aux Etats-Unis, a dû attendre d’être consacré à l’étranger avant de se voir reconnaître dans son pays. L’année dernière, il a remporté un projet d’immeubles à Toronto (Canada).
Deux des tours ont été surnommées les « immeubles Marilyn Monroe », ses formes en spirale évoquant celles de l’actrice dans une robe moulante.
« C’était la première fois qu’un architecte chinois remportait un projet d’immeuble de prestige à l’étranger et cela a complètement changé mon image de type farfelu », indique Ma.
Sollicité par les médias chinois, il a imaginé Pékin en 2050. Les maquettes sont à l’entrée de son atelier, un grand espace aménagé au dernier étage d’une ancienne usine: la place Tiananmen est entièrement couverte d’arbres, tout comme le Grand Théâtre d’Andreu…
Ce succès canadien en a entraîné d’autres en Chine même. Il travaille notamment sur une tour de 333 mètres à Tianjin, agglomération portuaire à l’est de Pékin, en pleine expansion.
Sur les murs de son studio, baptisé Mad design, sont accrochées les esquisses d’une villa, commande d’un riche Chinois en Mongolie intérieure, dans le nord du pays.
Son studio, qui emploie 25 personnes dans la capitale chinoise, s’internationalise. Il a ouvert il y a quelques semaines un bureau à Tokyo, ainsi qu’à Dubaï.
« Nous avons un projet au Danemark, nous avons fini le design d’une maison, les Danois avaient vu mon immeuble de Toronto », dit Ma, qui a été invité à donner des conférences en Espagne et en France.
Début janvier, l’architecte chinois Ma Qingyun a été nommé à la tête de l’Ecole d’architecture de l’Université de Californie du Sud, preuve de l’intérêt croissant du monde pour le design « made in China ».
Dans une interview récente à un magazine chinois, Ma a plaidé pour une « voie chinoise » en matière d’urbanisme.
« Suivre les concepts urbanistiques occidentaux n’a aucun sens. La Chine est un pays fondé sur l’agriculture, utiliser le modèle occidental pour la transformer est désastreux », a-t-il jugé, dans l’hebdomadaire Sanlian Shenghuo.
« Mais, quelle que soit la manière dont les villes changent, les Chinois sont très patients, c’est un réconfort pour les architectes, quoi que nous fassions les gens sont très contents », a-t-il poursuivi, ironique.
La célèbre promotrice immobilière chinoise Zhang Xin a eu cette prédiction il y a quelques années: « La Chine aura son propre Le Corbusier ».
Jean-François Doulet se montre plus circonspect, soulignant que Le Corbusier avait initié « un mouvement mondial en architecture qui a marqué la façon de construire mais aussi d’organiser les villes ».
« Je ne vois pas – et beaucoup avec moi – émerger un tel mouvement en Chine aujourd’hui: la production n’est pas originale et plutôt influencée par l’étranger. Même si certains se démarquent comme Cui Kai qui parvient à intégrer les influences chinoises et certains principes de l’architecture et de la ville chinoise », dit-il.