J’ai travaillé au coeur de la propagande chinoise, c’est le récit, tout en anecdotes et en rencontres, de l’expérience d’Anne Soëtemondt au sein d’une radio d’Etat. Entretien.

Une année dans le ventre de la propagande chinoise. Cela pourrait sonner comme un défi masochiste pour la plupart des journalistes, Anne Soëtemondt l’a tout de suite conçue comme une « expérience humaine », « l’opportunité d’observer un autre système médiatique de l’intérieur ».
En recherche d’un poste à l’étranger, c’est presque Radio Chine International (RCI) qui l’a trouvée. « J’ai postulé presque partout, ils ont été les premiers à me répondre, et m’ont dit de venir tout de suite », explique-t-elle. La radio d’Etat, qui ne cesse de s’agrandir s’est montrée très intéressée par cette jeune journaliste à l’expérience déjà fournie : « Ils embauchent des « experts » étrangers dans chaque service, conscients qu’ils peuvent apporter beaucoup en terme de compétences, et que le niveau de langue des locaux est souvent insuffisant. »
De son côté, Anne sait que ses talents ne seront pas complètement mis à profit : « La majorité du contenu vient d’un centre d’information qui écrit en chinois avant de faire traduire leurs textes par les différents services. A nous ensuite de corriger et de lire à l’antenne. La recherche d’info est rare, le terrain encore plus, c’est presque un travail de secrétariat de rédaction… ». Mais elle est sûre de pouvoir s’enrichir de cette expérience, au moins de combler sa curiosité. Elle satisfera finalement celle de ses lecteurs, en compilant dans un livre anecdotes et ressentis d’un quotidien d’un an au service français de RCI.
Curieux petits soldats
Certains pourraient s’attendre au tableau d’une usine de petits soldats de l’information, patriotes et efficaces… Le livre dépeint en fait la « normalité » chinoise dans tous ses paradoxes. Une normalité en tout cas, celle de la Chine des bureaux, avec son rythme de travail très doux et son organisation trop hiérarchisée pour être fluide. Les petits soldats sont pour beaucoup des jeunes, ouverts et instruits, qui assument leur tâche sans zèle ni rejet, conscients de certaines rigidités et incohérences de leur média.
«Après un voyage touristique au Tibet, un de mes collègues m’attire dans un studio, ferme la porte et me demande mes impressions, explique la journaliste. Lui savait que la politique chinoise dans cette région était sujette à polémique en Occident, et se rangeait plutôt du côté de Pékin, mais voulait tout de même savoir ce que j’en pensais, et ce que j’avais vu là-bas, pour vérifier ».
Car beaucoup, chez RCI comme ailleurs, ont conscience que les médias d’Etat sont loin d’être la seule source d’information en Chine. « Moi je crois ce que je lis dans les blogs », lui dit-on parfois dans les bars quand elle annonce son poste « Je ne connais pas beaucoup de monde qui regarde la CCTV ou qui écoute RCI ».
Experts internationaux
Qu’importe, la radio n’a pas de but commercial, c’est un symbole en soi, explique Anne Soëtemondt. « RCI émet dans une cinquantaine de langues et dans toutes les régions de la planète, pour donner à la voix de Pékin un statut international. »
C’est aussi pour cette image que la radio emploie beaucoup d’autres « experts » venus des quatre coins du monde, qui échangent entre eux des points de vue très différents sur le traitement de l’information. Entre autres personnages croisés dans ces rouages de la propagande, de jeunes journalistes d’Afrique de l’Ouest, terre de conquête pour la Chine et donc pour ses médias, un vieux reporter russe qui parle de son expérience dans les radios d’état soviétiques, plusieurs Français pas fâchés de leur « planque », ou d’autres rendus plus aigris par leur faible marge de manœuvre…
Si le débat existe dans les couloirs, il n’a en revanche pas sa place à l’antenne. La radio analyse la marche du monde selon le point de vue de Pékin, avec ses omissions et ses obsessions. Il a d’abord fallu apprendre les éléments de langage propres à la Chine: Taiwan est précédé de « province chinoise », le Dalaï-lama est un homme politique et non pas un dignitaire religieux…
Quelques conseils à l’entrée, mais c’est jour après jour qu’elle a découvert la plupart de ces consignes. « Avec l’habitude, on comprend le fonctionnement de la propagande. Il ne s’agit pas simplement de titrer sur les trains qui sont à l’heure, arrive le moment où l’on peut « lire » des choses dans les communiqués qui arrivent à la rédaction: de trop grosses dépêches sur la fréquentation touristique en hausse dans le Xinjiang ? C’est qu’il y a des troubles dans la région ».
Lourdeur administrative
La journaliste livre une foule d’exemples qui ont rythmé son quotidien mais rajoute qu’« il ne faut pas non plus penser qu’il n’y a aucune marge, les choses sont possibles, mais dures à réaliser, parce que les équipes n’ont tout simplement pas l’habitude de proposer quelque chose de différent et qu’il faut traîner avec soi toute la machine administrative ».
Le contrôle de l’information, quand elle n’est pas fournie par les services gouvernementaux, reflète bien cette lourdeur. Le service français fait partie de celui des langues latines, lui-même chapeauté par la direction Europe qui répond aux ordres du département des langues étrangères. Et à chaque stade, les « harmonisateurs » prennent soin de ne pas s’attirer les foudres de leurs supérieurs, et balaient tout ce qui pourrait être mal perçu.
D’où le rendu très plats des textes de RCI. Même les traducteurs se plaignent du caractère « mécanique » de leur travail. Dans un couloir, l’un d’eux confie ne plus chercher à comprendre les dépêches, et peut les réciter par cœur :
« Aujourd’hui le ministre de l’Économie chinois a rencontré son homologue nigérian. Depuis soixante ans que des relations diplomatiques ont été établies entre nos deux pays, le ministre a dit vouloir hisser à un nouveau palier des relations qu’il a qualifiées de stratégiques. »
Au fil des anecdotes, J’ai travaillé au cœur de la propagande chinoise laisse aussi entrevoir l’état moral de son auteure. « Enthousiaste, puis exaltée par toutes ces curiosités, j’ai commencé à en être fatiguée, exaspérée, avec bien sûr l’impression d’avoir vendu mon âme au diable, faire l’inverse de mon métier. Puis je l’ai pris avec humour: je l’ai choisi, je m’en amuse », confie-t-elle. « Au final, en avoir fait un livre, ça m’a permis de me rendre compte à quel point ça a été une expérience importante »
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