Julien Gaudfroy, alias Zhu Li An, est « l’un des étranger les plus connus de Chine », comme l’affirment les médias chinois. Ce Français s’est fait une spécialité du Xiangsheng, le stand-up à la chinoise, avec un succès incontestable.

Quand nous rencontrons Julien Gaudfroy, il sort tout juste de la salle de billard. Cela fait un an qu’il pratique ce sport « par pur plaisir ». Il s’entraîne pourtant aussi souvent que lui permet sa vie de famille et son emploi du temps professionnel chargé. « Quand je me m’investis dans un domaine, j’aime m’y investir complètement », explique-t-il.
Apprendre avant de comprendre
Et c’est vrai qu’à regarder le parcours de ce jeune trentenaire, le sens de l’engagement transparaît tout de suite.

Quand toute sa jeunesse il pratique le violoncelle, c’est pour être reçu au prestigieux Conservatoire de Paris. Et quand, privé de musique par une blessure, il décide de se mettre au chinois, cela a beau être « par curiosité », le but n’en est pas moins de parler aussi bien qu’un natif.
Un pari réussi. Quand nous le mettons en communication téléphonique avec un chauffeur de taxi tout ce qu’il y a de plus pékinois, ce dernier refuse de croire qu’il a parlé à un étranger.
Des conseils pour arriver à ce résultat ? « Pas de secret, explique Julien : de 6 à 12h de travail par jour, 15h de temps à autre. Pendant 5 ans ». La recette paraît déjà lourde, mais il convient aussi, à l’en croire, de travailler de la bonne façon. Lui a testé différentes méthodologies et en a tiré un enseignement : il faut « apprendre avant de comprendre ».
Point de parenthèse « culture » dans sa méthode de chinois, juste un travail régulier, l’apprentissage des caractères dès les premiers jour et une immersion la plus totale dans un environnement chinois. « Une fois que vous maîtrisez la langue, il est plus facile de s’intéresser à la culture», explique-t-il.
Si en plus vous avez une oreille bien développée, vous aurez alors une chance d’atteindre le niveau de Julien, et de vous offrir de belles opportunités de carrière.
« Julien le Français »
Quelques secondes après notre petit test de célébrité, le même chauffeur de taxi réalise : « c’était Faguoren Zhu li an ? ». Lui même. Faguoren Zhu Li An, « Julien le français », est une star en Chine.
Très rares, les étrangers qui ont une maîtrise quasi-parfaite du mandarin sont très appréciés du public chinois. Et si son talent aurait pu se vendre dans toute sorte de milieux, Zhu Li An a rapidement fait son choix : ce sera la comédie.
Ou plutôt le Xiangsheng. Si vous habitez la Chine, vous en avez déjà entendu des dizaines de fois : ce sont ces discussions qu’écoutent les chauffeurs de taxi à la radio à longueur de trajet, ces sketchs à la mise en scène minimaliste, qui ponctuent également les grands show de la CCTV…
Le Xiangsheng est souvent décrit comme le « stand-up chinois ». Tout seuls, en groupe, mais le plus souvent en duo, les artistes font rentrer le public dans une histoire qui sera le prétexte à l’humour de situation, et surtout aux jeux de mots.
C’est une des raisons pour lesquelles la plupart des sinophones étrangers buttent sur cet art, qui détenait pendant longtemps un véritable monopole culturel en Chine.
Et c’est cela qui a attiré Julien. « Maîtriser le XiangSheng, c’est non seulement maîtriser au mieux la langue, mais c’est aussi comprendre l’humour des Chinois, et de fait avoir une lecture très claire de la société. »
Le XiangSheng a donc été l’ultime étape dans le défi linguistique que s’était fixé Julien, avec un prédécesseur de renom : Dashan, ce Canadien qui est à coup sûr l’étranger le plus connu de Chine pour ses sketchs et sa connaissance du pays.
La comparaison ne gêne pas Zhu Li An : Dashan était certes là avant, et est beaucoup plus installé dans le cœur du public, mais leurs styles diffèrent, et la scène chinoise largement assez grande. D’ailleurs, confidence pour confidence, Zhu Li An parle mieux chinois, c’est lui qui le dit.
Ce qui fait rire les Chinois
Mais qu’est ce qui fait rire les Chinois ? Beaucoup de choses, à en croire le Pékinois d’adoption. La surprise, bien sûr, l’absurdité, beaucoup, mais surtout les jeux de mots et l’humour de situation.
Ne tentez par contre pas de traduire les blagues dans un sens ou dans l’autre, nous prouve Zhu Li An : les différences culturelles rendent le bide plus que probable. Et pourtant, pour expliquer le XiangSheng, il prend des images bien de chez nous : d’après lui, avec un petit effort de langue, Pierre Dac et Francis Blanche auraient pu beaucoup plaire aux Chinois.
L’originalité, ce sont les formes imposées par l’exercice. « On ne peut pas sauter d’un sujet à un autre, sans logique, comme c’est parfois le cas du stand-up. Il s’agit de raconter une histoire avec comme appui votre partenaire, mais aussi le public, explique Julien. C’est d’ailleurs une des grandes difficultés : c’est souvent un regard placé au bon moment du discours et adressé à la salle ou à la caméra qui créera le rire… »
C’est accompagné de son maître, le très réputé Ding Guangquan que Julien a fait quelques-unes de ses apparitions les plus connues.
Ce professeur lui a enseigné la finesse du XiangSheng comme il l’a fait pour Dashan, et le fait jouer et improviser sur ses propres textes, poussant Julien a s’amuser des accents et de l’actualité locale. (Voir la vidéo)
Depuis quelques années, Zhu li An participe à toute une foule d’évènements en tant que présentateur, pour des cérémonies, des concours, ou des grands show télé… L’aisance de scène gagnée grâce au XiangSheng lui donne beaucoup de succès : les commandes abondent et son emploi du temps est bien rempli.
Mais il dit ne pas courir après la popularité, et espère plutôt gagner « en reconnaissance et en influence ».
« Sur Internet, j’y vais à fond »
Témoin de son influence : son microblog. 50 000 internautes suivent ses messages : lait contaminé, scandale de la Croix Rouge, problèmes de transports, le blogger est très en lien avec l’actualité du pays… « certains de ces internautes sont des personnalités de haut rang », précise-t-il.
Un espace d’expression plus large que celui offert par les présentations de cérémonies ou même par le Xiangsheng. « Sur scène, la limite c’est celle que le public fixe. Si le public n’est pas là pour entendre des critiques, il n’y a pas de raisons de lui en donner. Mais sur Internet, j’y vais à fond. »
Et d’autres y vont aussi à fond : « Si tu n’es pas à l’aise en Chine, tu peux t’en aller », commente un internaute en réponse à un message critique.
Julien prend ces réactions avec recul, tout comme celles d’autres étrangers. « C’est la fête du printemps, toutes les télés vont ressortir leurs singes blancs » se rappelle-t-il avoir lu sur un blog à propos des grands show du nouvel an chinois.
Des réactions qu’il analyse comme « inintéressantes » et « en recul », mais qu’il aimerait travailler à faire changer. « Les gens considèrent que parce que tu travailles à la télé chinoise, tu n’es qu’un blanc qui vient réaliser facilement ses rêves de star. C’est assez peu respectueux du public chinois… Bien sûr que les Chinois me voient comme un blanc, c’est même sur cela que sont basés mes sketchs… Mais on ne peut pas faire changer la perception que les autres ont de soi, alors il faut travailler dessus ».
Marre aussi qu’on ne lui parle que de la censure » plus culturelle que politique », et qui, explique-t-il n’existe pas qu’en Chine. Il aimerait au contraire qu’on reconnaisse sa valeur dans les relations culturelles France-Chine, et l’influence que peut avoir sa parole, du fait de sa popularité.
Un pas a été franchi dans ce sens avec l’attribution par Jean-Pierre Raffarin du prix Bernardaud à Zhu Li An. Comme le rapporte le Quotidien du Peuple, Julien a été récompensé en mai dernier dernier pour ses initiatives de coopération culturelle, et notamment pour ses émissions culinaires qui mettent en valeur la cuisine française.
Et en attendant de « revenir aux sources », en présentant des émissions musicales, « Faguoren zhu li an » profite de sa vie de famille, et de son bébé de quelques semaines. Et nous fait profiter de ses talents linguistiques qui n’impressionnent pas que les étrangers, en récitant la liste des plats que, fût un temps, l’empereur se faisait servir chaque soir.
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Comme quoi le boulot paie! 10/12h en moyenne par jour de chinois pour atteindre ce niveau! Je sais donc ce qu’il me reste a faire… Par contre le « Il parle mieux que Dashan. C’est lui qui le dit », il aurait pu éviter… Ça ne sert a rien et cela fait quelque peu hautain! En tout cas félicitation pour sa réussite.
不管黑猫白猫,能抓老鼠就是好猫 – 邓小平
« Très rares, les étrangers qui ont une maitrise quasi-parfaite du mandarin sont très appréciés du public chinois. »
Pas si rares que ca… Mais heureusement tous ne revent pas de finir dans les médiocres progammes télévisés chinois, comiques ou autres.
Quant a son micro-blog, j’imagine que ca doit envoyer du paté niveau vision objective de la société chinoise: notre ami lit surement le China Daily consciencieusement tous les matins pour se tenir informé! 🙂
Je n’avais aucun respect pour l’inutile (et vénale) bete de foire qu’est Dashan, je n’en aurai pas plus pour sa copie francaise…
En effet ton commentaire sur son micro-blog est très juste… je me suis aussi posé la question de savoir sur quels sujets pouvait-il bien « y aller a fond! ». Malgré tout, un étranger qui maitrise aussi bien le mandarin je n’en connais pas personnellement, et il faut bien avoue qu’ils ne sont pas nombreux, et qu’il mérite donc une certaine reconnaissance! Après de savoir ce qu’il souhaite faire cette capacité a parler mandarin d’une manière très courante… C’est son problème!
不管黑猫白猫,能抓老鼠就是好猫 – 邓小平